Dans le cadre de la révision du DTU 51.4 et parce que la saison estivale est maintenant bien lancée, il nous a semblé opportun de vous proposer une interview croisée sur le thème de la « terrasse bois » entre un installateur et un négoce de bois. L’interview d’Olivier Kaufman (OK), installateur, Gérant de la société Terrasse Nature et Président de l’Association Terrasse Bois se croisera donc avec celle de François Laresche (FL), Gérant de la société Drouaire Bois (groupement Sylvalliance), négoce membre du réseau Expert Relais Bois.
*Les propos recueillis n’engagent que l’interviewé et pas la rédaction*
Comment se porte le marché de la terrasse en bois cette saison ?
FL : Le début de saison a été tardif à cause des intempéries de février / mars mais un bon volume ensuite jusqu’aux intempéries de juin. Les conditions de mise en oeuvre sur des sols détrempés sont compliquées : dans ces conditions la productivité des poseurs est plus faible.
OK : Le marché de la terrasse est toujours très dynamique. La saison se déroule très bien : il y a eu des demandes dès l’entrée de saison, dès le mois de février. Il y a toujours beaucoup de projets qui se décomposent en 4 types (pour les particuliers) : les terrasses sur terrain naturel (jardin), les terrasses pour recouvrir une ancienne dalle béton ou carrelage, les terrasses sur étanchéité et les terrasses en hauteur (sur pilotis).
Quelles essences de bois sont majoritaires sur le marché ? Pourquoi ?
FL : La demande est forte en résineux, du fait d’un bon rapport performance/prix. Ces essences sont donc une bonne solution pour les usages privés. La profondeur de l’offre en résineux s’est accrue avec des premiers prix pleins de « singularités » mais une possibilité de montée en gamme jusqu’à des produits sans noeud. L’essence résineuse de base reste le Pin Sylvestre traité par autoclave mais on offre aujourd’hui des Pins Maritimes traités, des profils bombés en Douglas et Mélèze et également du Pin de Caroline traité.
En exotique l’Ipé reste l’essence la plus demandée mais les alternatives plus « économiques » comme le Cumaru ou le Maçaranduba représentent 60 % des surfaces vendues. Les essences de feuillus européens comme le Chêne, le Châtaigner et l’Acacia ont du mal à émerger. Non seulement ces essences coûtent cher mais elles ont des problématiques de longueur difficilement compatibles avec la demande du marché : les lames étant très courtes, entre 1,20 mètres et 2 mètres, alors que pour le résineux, les lames mesurent entre 3 et 5 mètres et pour l’exotique entre 2,15 et 5 mètres. Pareil pour le Robinier dont les longueurs de lames sont encore plus petites : entre 80 cm et 1,60 mètres. Cela fait plus de travail pour les professionnels et plus de joints pour les particuliers.
OK : Le Pin traité représente une part majoritaire du marché probablement du fait de son prix, toujours moins cher que les bois tropicaux. Cependant, si on veut un résultat durable et de qualité il faut s’assurer d’avoir du bois traité dans de bonnes conditions et, en particulier, on ne peut que conseiller d’utiliser du bois qui a été traité dans des stations conformes à la norme CTB-B+. Les lames de terrasses et les lambourdes en Pin traité doivent être installées avec beaucoup de soin pour éviter les pièges à eau et les dégradations.
Les bois tropicaux les plus utilisés sont toujours l’Ipé, le Cumaru le Maçaramduba mais également l’Itauba, le Bankiraï, le Padouk, mais il y en d’autres ! L’avantage de ces essences c’est une durabilité naturelle sans traitement (durée de vie de plus de 40 ans), une résistance mécanique très importante et un aspect particulièrement qualitatif (pas de noeud, grandes lames, etc.).
Les feuillus d’Europe, comme le Chêne et le Châtaignier peuvent en effet parfois poser quelques difficultés : en termes de prix (ces essences coûtent cher) mais aussi en termes de vieillissement… Concernant le Chêne, selon moi, le problème n’est pas la longueur mais plutôt le fait que c’est une essence qui peut engendrer certains désagréments à l’extérieur : noircissement, déformation et durabilité moindre.
Le Châtaignier peut proposer des problèmes équivalents aggravés par un tanin tachant indélébile qui peut entraîner des coulures par exemple sur les ouvrages adjacents. Le Robinier par contre est un bois totalement imputrescible et joli mais malheureusement extrêmement instable et donc à mettre en oeuvre avec d’infinies précautions.
Cela dit, dans le marché de la terrasse bois, le principal concurrent des bois français comme des bois tropicaux,
c’est le bois composite. On assiste à une « guéguerre » entre les importateurs de bois tropicaux et ceux qui
vendent du bois de pays, et cela dessert le marché de la terrasse bois dans son ensemble alors que la plus forte
croissance se trouve sur le bois composite. C’est bien dommage.
FL : Concernant le bois composite, il y a des avantages et des problématiques liées à ce produit. L’avantage principal c’est la permanence de la couleur mais les désavantages sont : les variations dimensionnelles générées par la température sur le plastique et le prix. C’est un produit onéreux quand on veut une qualité suffisante. Dans le commerce et en particulier en GSB, on va trouver des produits à environ 30 euros mais avec une qualité qui n’est absolument pas au rendez-vous. Le prix d’un composite de qualité suffi sante commence au prix du milieu de gamme de l’exotique et le haut de gamme des composites sera 50 % plus cher que l’Ipé.
Quelle est l’essence phare pour la terrasse au sein de votre entreprise ? Y a-t-il une raison ?
FL : Le Pin sous ces différentes formes (Pin sylvestre, Pin maritime, Pin de caroline), en raison de la variété de
l’offre tant en profi ls, sections, longueurs que choix. On le travaille en effet dans ses différents choix.
OK : L’essence que je vends le plus c’est le Cumaru qui représente 70 % de mes chantiers (30 ou 40 par an). Les
30 % restants se répartissent entre l’Afrormosia et le bois composite. Je ne propose par contre pas de terrasse en Pin traité et, depuis plus de cinq ans, je n’ai quasiment jamais fait de terrasse en Ipé. J’ai beaucoup de demandes pour réaliser des terrasses en Ipé mais dans 90 % des cas je réponds que le Cumaru est tout à fait équivalent à l’Ipé à la fois en termes de durabilité, de résistance mécanique et d’aspect. Le retour d’expérience des clients est excellent. Nous faisons des terrasses très haut de gamme en Cumaru sans aucun problème. L’Ipé est une essence avec une demande très importante et le fait de proposer du Cumaru allège un peu la pression sur cette essence qui par ailleurs est plus chère que les autres essences exotiques.
Est-ce que la demande en bois certifié, ou issu de forêts gérées durablement est plus forte aujourd’hui ?
FL : Non. La demande est le fait exclusif de donneurs d’ordre publics ou de quelques architectes « écolos ». Le nombre de demande est faible mais peut concerner des volumes importants. Il y a une certaine confusion entre les obligations légales liées au RBUE et les labels PEFC et FSC.
OK : Je suis entièrement d’accord avec François Laresche et je constate les mêmes tendances.
François Laresche, qu’attendez-vous de la révision du DTU 51.4 ? (Notamment avec les contraintes actuelles relatives au coeffi cient d’élancement, etc.).
FL : Il est vrai que la révision des élancements permettra de mieux faire concorder l’offre commerciale et le DTU. Il serait bon également de faire un focus sur la pose avec plot sur étanchéité (et de bien mettre en avant que les plots ne servent qu’à cela) et ouvrir la discussion au niveau des structures sur lesquelles poser des terrasses (pieux, etc.). Les clients ne connaissent pas suffisamment leurs obligations sur la liaison rigide et fixe qui doit exister entre la lame de terrasse et son support.
Olivier Kaufman, vous avez été à l’initiative de la révision du DTU 51.4 et avez participé à la commission, que pouvez-vous nous en dire ?
OK : L’enquête publique du DTU 51.4 et de la norme B54-040 (lames de platelage) sera terminée en Juillet et nous espérons une publication au deuxième semestre 2018. Ces normes ont été révisées en profondeur et nous en avons amélioré la lisibilité. Nous avons simplifi é beaucoup de chapitres et apporté de nombreuses nouveautés issues du retour d’expériences.
Un DTU ce n’est pas un guide de pose, ni un mode d’emploi. Cela correspond en fait aux règles contractuelles qui doivent s’appliquer entre le maître d’ouvrage (client) et l’entrepreneur. C’est pour cela que les DTU ne sont pas faciles à lire car ce n’est pas fait pour vulgariser des techniques de pose. C’est aussi pour cela qu’en cas de litige les experts se réfèrent toujours au DTU.
La pose de platelage sur étanchéité n’est pas dans le domaine d’application du DTU 51.4. C’est pourquoi la CSFE (Chambre Syndicale Française de l'Etanchéité) a publié en 2018 des règles professionnelles relatives à la mise en place de platelage bois sur étanchéité et l’Association Terrasse Bois (ATB) a contribué aux travaux de rédaction de ces règles professionnelles.
Concernant les coefficients d’élancement, celui de l’Ipé a déjà été validé à 7 (un corrigendum de la norme B54-040 a été publié il y a plus d’un an). Pour le Cumaru, la campagne d’essai a également permis de valider que le Cumaru se comporte parfaitement avec un coeffi cient d’élancement de 7 (c’est-à-dire, la section commerciale la plus souvent présente sur le marché de 21x145mm).
Cela vous semble-t-il important de former des poseurs et technico-commerciaux plus experts sur les techniques de pose de terrasse en bois ? Qu’est-ce que vous attendez d’une formation autour de ce produit ?
FL : Pour notre société, Drouaire Bois, c’est un acquis car en interne nous faisons des formations terrasse pour les technico-commerciaux, avec une connaissance approfondie du DTU et des restitutions de DTU aux clients professionnels. Mais pour la pérennité du marché de la terrasse bois il est évident que les vendeurs ainsi que les poseurs doivent être mieux formés de manière générale.
J’attends simplement de cette formation la restitution du DTU en termes compréhensibles et la mise en avant d’une « short list » des différents points indispensables pour la réussite de cette terrasse. Dalle ou éléments rigide sur lequel fixer la terrasse + lambourde cl4 + lame de terrasse cl4 (ou bombé cl3) + vis inox et surtout ventilation !
OK : Les terrasses en bois sont des ouvrages qui sont sujets à une très forte sinistralité ; principalement due à une insuffisance de formation. Il est essentiel que les artisans se forment aux bonnes techniques de pose mais il est également tout aussi important que les commerciaux et les technico-commerciaux des négoces se forment plus et mieux. Cette amélioration de la formation diminuera bien entendu le nombre de sinistres, ce qui aura des effets très positifs sur le développement du marché de la terrasse en bois dans son ensemble. Il me semble que les négoces devraient être mieux formés, pour pouvoir encore mieux informer les artisans.
A ce propos, l’ATB propose des formations parfaitement adaptées aux besoins des artisans et des négoces avec
des modules courts intra entreprise.
Avez-vous quelques conseils à donner pour installer une terrasse en bois de qualité ?
FL : J’insiste vraiment sur le fait que les éléments composant la terrasse (lambourdes ou solives) doivent être fixés sur un support rigide et non pas sur des gravillons ou un lit de sable. Malheureusement, on le vit au quotidien que ce soit avec des clients professionnels ou particuliers : ceux-ci prennent exemple sur des mises en oeuvre vues à la télévision, dans des émissions de déco, en GSB, ou bien dans des tutoriels en ligne (avec simplement un géotextile, un lit de sable et des plots…).
Les conséquences sont multiples : les terrasses vont se voiler, se déformer, elles vont réagir à l’humidité à la chaleur, tuiler, gondoler etc. Les personnes rejetteront la faute sur la qualité des lames de bois alors que cela a simplement été mal posé. Il faut vraiment respecter les règles du DTU. Lorsque le particulier vient en négoce, il a un budget en tête mais il ne pense pas à intégrer dans ce budget le prix d’un vrai ouvrage en dessous, une dalle béton par exemple. La première question je leur pose c’est de savoir sur quoi ils vont poser.
D’autre part, pour des raisons esthétiques, les gens oublient la ventilation. Souvent les architectes et les particuliers veulent des systèmes de finition qui ne sont pas compatibles avec la ventilation mais il est important de maintenir l’hygrométrie entre la face extérieure et la sous face des lames de terrasses.
Enfin, un produit de finition c’est sympa pour pas cher (saturateur) : moins de 5€ le m²…
OK : Mes conseils sont toujours les mêmes : toujours utiliser des bois compatibles avec la classe d’emploi 4, respecter les coefficients d’élancement, jamais de lambourdes en contact direct avec le sol, utilisation de vis inox
(pas de clip), et travailler avec une double structure.