Le Commerce du Bois

Sous les tropiques, les forêts intactes perdent leur capacité à absorber du carbone

Actualité 13.04.2020

11/03/2020 - Communiqué de presse CIRAD

La capacité des forêts tropicales intactes à absorber le carbone de l’atmosphère diminue, selon une nouvelle étude publiée le 4 mars dans Nature . En Amazonie, le pic d’absorption semble avoir eu lieu dans les années 1990, alors qu’en Afrique, il s’est produit 10 ans plus tard. Depuis, cette absorption continue de diminuer. Cela vient remettre en cause l’idée selon laquelle ces forêts pourraient continuer à séquestrer du carbone pendant encore des années. Les scientifiques du Cirad rappellent toutefois le rôle que peuvent jouer les forêts exploitées de façon durable et les plantations forestières pour inverser cette tendance.

Les travaux, menés par une centaine d’instituts du monde entier, retracent l’évolution des forêts tropicales « intactes » d’Amazonie et d’Afrique sur 30 ans. Ils s’appuient sur des parcelles de suivi permanentes, dont celles du dispositif de M’Baïki en République centrafricaine, étudié depuis 1982 par le Cirad et ses partenaires centrafricains. Ces travaux affichent des résultats qui doivent faire réfléchir. Alors que les modèles climatiques actuels prédisent un pic de séquestration de carbone dans les prochaines décennies, les chercheurs impliqués viennent de démontrer que, pour les forêts tropicales, ce pic a déjà eu lieu de façon nette il y a 20 à 30 ans en Amazonie, et, plus légèrement, il y a 10 à 20 ans en Afrique.

L’absorption de carbone est en baisse
Dans les années 1990, les forêts tropicales intactes du monde ont séquestré environ 12,6 milliards de tonnes de carbone sur la décennie. Cette capacité, dans les années 2010, est tombée à 6,8 milliards de tonnes. Cette perte de capacité de 5,8 milliards de tonnes de carbone correspond à une décennie d’émission d’énergie fossile du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France et du Canada réunis. Alors qu’elles séquestraient 17% des émissions de carbone dues aux activités humaines dans les années 1990, les forêts tropicales n’ont séquestré que 6 % de ces émissions dans les années 2010. Ces forêts absorbent moins de carbone, et leur superficie diminue, pendant que les émissions augmentent considérablement.

De puits de carbone, les forêts tropicales pourraient devenir des sources

Les simulations effectuées sur les 20 prochaines années prédisent qu’en Amazonie, la perte de carbone due à la mortalité des arbres égalera le gain en carbone dû à leur croissance et au recrutement de nouveaux arbres avant 2040. Cela signifie que les forêts ne seront plus des puits, mais risquent de devenir des sources d’émission de carbone. En Afrique, cette évolution est beaucoup moins rapide, et les forêts devraient rester des puits plus longtemps, mais absorbant de moins en moins de carbone.

Les auteurs de l’étude insistent sur l’urgence de la situation, rappelant dans la publication que les accords internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont à revoir. Basés sur des modèles climatiques trop optimistes, « étant donné que les forêts tropicales sont susceptibles de séquestrer moins de carbone à l'avenir que [prévu] », ils ne suffiront pas à respecter les engagements visant à limiter le réchauffement de la planète.

Une exploitation forestière durable pour capter du carbone
Néanmoins, cette étude s’est focalisée sur l’évolution passée et future des forêts intactes, qui ne représentent que 25 % de l’ensemble du couvert forestier. D’autres forêts exploitées les côtoient, dans lesquelles les arbres sont prélevés pour fournir, notamment, du bois d’œuvre.

« Les forêts exploitées correctement, c’est-à-dire en respectant des plans d’aménagement bien conçus et en évitant d’ouvrir de nouvelles surfaces à l’exploitation, stockent le carbone. Le bois exploité met le carbone en réserve, et ce bois peut être utilisé à la place d’autres matériaux dont la production est beaucoup plus polluante, souligne Sylvie Gourlet-Fleury, chercheuse en écologie forestière au Cirad et co-auteur de la publication. « Aussi, la diminution de l’effectif des grands arbres qui stockaient ce bois, puisqu’ils ont été exploités, stimule la croissance de ceux qui restent et diminue la mortalité naturelle. Exploiter durablement une partie des forêts tropicales peut parfois être plus judicieux que de toutes les mettre ‘sous cloche’ » .

Dans de nombreux endroits, les moteurs de dégradation de la forêt et de déforestation vont s’accentuer face à la demande des populations locales et aux besoins de développement des pays. Ces prévisions inquiétantes ont conduit au lancement d’initiatives régionales, telles que l’initiative 20 x 20 en Amérique latine et aux Caraïbes, ou l’AFR100 en Afrique (Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains), visant à restaurer globalement et rapidement 150 millions d’hectares de paysages dégradés et déboisés. Ces initiatives rejoignent celles lancées par le Défi de Bonn en 2011 et la Déclaration de New York sur les forêts lors du Sommet sur le climat des Nations Unies de 2014, qui a poussé l’objectif de restauration à 350 millions d’hectares en 2030.

« Restaurer des forêts dégradées ou planter des arbres constitue une manière efficace de stocker du carbone. Inclure les plantations de bois d’œuvre dans ces opérations, au-delà des espèces à croissance rapide visant la fourniture de bois énergie est l’une des priorités que s’est fixée le Cirad dans les années à venir , indique Sylvie Gourlet-Fleury. Ce sont des actions nécessaires, qui vont de pair avec la révision des accords internationaux pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’un ne va pas sans l’autre ».

Référence

Hubau, W., Lewis, S.L., Phillips, O.L. et al. Asynchronous carbon sink saturation in African and Amazonian tropical forests. Nature 579, 80–87 (2020).