Depuis le mois d'avril 2020 les prix du transport international de marchandises se sont envolés, dans le fret aérien comme dans le transport maritime de conteneurs dans un contexte sanitaire encore incertain à l'échelle mondiale. Les mesures décidées pour endiguer l'épidémie de la Covid-19 ont engendré un retournement de situation d’une brutalité sans précédent. Les taux de fret se maintiennent à des niveaux élevés et l’accès aux capacités se révèle parfois problématique.
La tendance haussière des prix
constatée dans la première édition du Baromètre Upply du transport international se confirme, avec une poursuite des annulations d’escales ("blank sailings"). Les compagnies maritimes continuent d’appliquer une politique de stricte gestion des capacités et en parallèle une augmentation unilatérale des tarifs et des surcharges. Le total de ces surcharges (peak season, congestion des ports…) et le coût des services premium proposés par les compagnies pour garantir l’embarquement des marchandises amènent les prix du transport maritime conteneurisé vers un record absolu.
Contactés par la revue Fordaq, des acteurs du marché indiquent qu'à Anvers, Gènes et Hambourg, le prix du fret est monté parfois déjà à 7.000 US-$ (certains Allemands évoquent même 8.000 US-$), et les prix risquent de grimper encore autour du Nouvel an chinois. En direction de la Pologne, les prix semblent plus raisonnables (4.700 US-$).
Le manque de disponibilité de conteneurs pousse les acteurs à envisager le recours aux voies terrestres, mais les capacités du trafic ferroviaire entre l'Europe et la Chine sont pratiquement saturées. Certains chargeurs évoquent la possibilité de s'en remettre au transport routier, habituellement plus rapide que le transport ferré, mais les camions restent bloqués aux frontières et ils sont freinés par le trafic routier. Certains importateurs italiens ont déclaré à Fordaq qu'à l'heure actuelle, les livraisons par camion à partir de la Chine se payent environ 2500 US-$/camion.
Sur les prix spot import au départ de Shanghai vers l’Europe, l’indice SCFI atteint le plus haut niveau depuis 6 ans à 1644$/TEU et les prix de l’indice global sont en moyenne 133% au-dessus des prix de l’année précédente.
La consommation mondiale reste soutenue et le phénomène de saisonnalité maintient à un niveau élevé les prix de transports internationaux. La golden week chinoise au début octobre a réduit la capacité fret et la disponibilité des navires. L’approche du Black Friday a généré également un mouvement de stockage prévisionnel des retailers aux États-Unis et en Europe afin d’éviter le risque de rupture dans la chaîne d’approvisionnement déjà mis en évidence au 1er semestre 2020.
Sur le Transpacifique, la stricte gestion des capacités par les compagnies maritimes se conjugue avec une forte consommation américaine. En conséquence, les prix atteignent des sommets. Sur la base des données Upply, l’augmentation de la moyenne des prix spot et régulier est de +45% entre le mois de février et d’octobre. En revanche, sur la ligne Transatlantique les capacités de transport maritime sont stables et permettent une baisse des prix après le pic post-confinement.
L’extrême volatilité des prix et la disparité des évolutions créent des déséquilibres opérationnels, et en particulier une pénurie de conteneurs vides. Aux États-Unis, la Commission maritime fédérale (FMC) a été alertée par des chargeurs américains, qui soupçonnent certaines compagnies maritimes de refuser d’embarquer des conteneurs pleins destinés à l’exportation pour
privilégier le repositionnement de conteneurs vides en Asie.
Cette crise affecte directement l'export de produits ligneux vers la Chine.
Certains importateurs chinois contactés par Fordaq regrettent que leurs fournisseurs européens se trouvent encore en pourparlers avec leurs affréteurs. Le surcoût des grumes de hêtre se situe autour de 10 €/m3. Pour les importations de grumes d'épicéa, les augmentations sont de l'ordre de 15 à 20 US-$/m3. Certains exportateurs français craignent que l'export de grumes de frêne ou d'épicéa deviennent impossible de fait. Parmi les exportateurs interrogés, les prix indiqués pour les conteneurs varient (de 1.200 à 2.300 US-$ pour 40 pieds), mais dans tous les cas les augmentations sont importantes.
Les nouvelles en provenance d'Amérique du Sud ne sont pas meilleures. Les prix du fret entre le Brésil et la Chine ont atteint un sommet et il est difficile de se procurer des conteneurs. Les prix courants entre le Brésil et la Chine se situent entre 1200 et 1300 US-$ par conteneur. Désormais, les prix pour les livraisons vers la Chine ont grimpé à 1700 US-$ par conteneur.
Les problèmes de prix et de disponibilité des conteneurs se répercutent sur toutes les voies navigables. Par exemple, les prix entre Anvers et le Pakistan explosent. En septembre, ils se situaient autour de 1,350 US-$ pour 40 pieds et désormais à 1,825 US-$.
Interrogée par "Le journal de la Marine Marchande", Camille Contamine, déléguée aux affaires maritimes
TLF Overseas* explique assister à un dérèglement total du marché maritime: "
Certains transitaires me disent qu’ils n’ont jamais vu cela en 40 ans de métier. Des armateurs annoncent des taux à 4 900 $ par conteneur de 40 pieds sur la ligne Asie-Europe. Il est question de tarif à 6 000 $ sur du Chine-Hambourg. "
*TLF Overseas est le syndicat professionnel regroupant les entreprises organisatrices de transports aériens, maritimes et représentants en douane. Il représente les professionnels auprès de nombreuses administrations et organisations françaises et internationales.
Concernant l'Afrique, les destinations vers l'Océan Indien et l'Afrique de l'Est sont majoritairement impactées, surtout opérationnellement car les routing empruntent les lignes Asie/MO et leurs relais pour la desserte de ces zones.
"Le système est en surchauffe. Et nous faisons les frais d’une grande désorganisation dans la chaîne logistique des compagnies. Nous observons une pénurie d’équipements et de conteneurs (dry et high cube) car les compagnies maritimes ont, entre autres, privilégié l’axe transpacifique bien plus rémunérateur au détriment de l’Europe. Nous notons également une perturbation de la logistique de repositionnement des conteneurs vides. Des équipements sont bloqués en Asie et en Australie, là à cause de la grève des dockers. Nos adhérents nous font part d’annulations d’acheminement vers les ports en raison de cette pénurie. Tout ça nous amène à penser qu’il y a nécessité d’un important repositionnement et révèle à nouveau un déficit total des conteneurs dans le monde." indique Camille Contamine
Les acteurs du marché ne perçoivent encore que les prémices des conséquences induites sur la chaîne logistique. Les usines asiatiques doivent décider s'ils réduisent la production ou trouvent des aires de stockage pour des marchandises qui ne peuvent pas être chargées. Ils doivent également revoir leurs approvisionnements en matière première pour les prochains mois. Les importateurs de produits manufacturés doivent donc réfléchir à la façon de compenser les augmentations sur un marché fortement affecté par la question de la disponibilité des marchandises.
Le ministère chinois du commerce a annoncé "poursuivre ses efforts de coopération avec les parties prenantes pour mettre davantage de conteneurs sur le marché, accélérer les rotations de conteneurs et augmenter la productivité".
Pour Camille Contamine : "face à des pratiques qui ne sont pas contrôlées, il nous faut trouver des solutions de contrôles pour sécuriser nos exportations et nos importations." Selon elle, il faut demander des régulations type FMC*. Elle indique également attendre beaucoup "de la création d’un conseil national portuaire et logistique car il y aurait la possibilité, au sein de cette instance, de recenser les problématiques de concurrence dans les ports et pourquoi pas élargir les missions de ce nouvel organisme à une évaluation du niveau de services des compagnies qui escalent dans les ports français". Le syndicat entend mobiliser les parlementaires sur quelques propositions dans ce sens.
Enfin, l’AUTF (organisation professionnelle des chargeurs) se joint aÌ€ l’appel de European Shippers’ Council qui interpellera la Commission europeÌenne sur la neÌcessiteÌ de mieux encadrer et reÌguler le marcheÌ du transport maritime de conteneurs dans un futur proche et de mener en 2021, une investigation sur les agissements des acteurs concerneÌs.
D’après les dernières informations recueillies par LCB, auprès de ses partenaires logistiques, rien de semble présager un retournement de situation à très court terme.
Sources : HAROPA, Fordaq, Le journal de la marine marchande
*FMC : Federal Maritime Commission
Photo : Indicateur "Shanghai Export Containerized Freight Index (SCFI) mis à jour selon les dernières données diffusées du 04/12/2020"