Actualité 03.12.2021
(Dernière mise à jour : 03/12/2021)
Mercredi 17 novembre dernier, la Commission Européenne a présenté trois nouvelles initiatives réglementaires dans le cadre du Green Deal européen. Parmi ces initiatives, la Commission a ainsi publié un projet de réglementation pour lutter contre la déforestation importée.
A l’instar de la Stratégie Nationale de lutte contre la déforestation importée française (SNDI), le projet de réglementation s’appliquera au bœuf, au cacao, au café, à l’huile de palme, au soja, au bois et aux produits dérivés. Le projet de réglementation sera ensuite débattu et voté dans les instances législatives de l’UE.
Voir notre précédent article : La Commission Européenne dévoile son projet de législation pour lutter contre la déforestation importée
Nous vous présentons un décryptage de cette proposition.
Vous trouverez ci-dessous une première version de FAQ (foire à questions) pour vous permettre de prendre connaissance de ce projet de réglementation, et identifier les risques et opportunités qu’il représente pour la filière bois, certaines questions restant ouvertes. Cette FAQ est basée sur notre lecture et compréhension du texte, ainsi que les sessions de discussion auxquelles nous avons pu assister organisées par la Commission Européenne (réunion de la plateforme multi-parties prenantes et groupe d’experts).
Afin de continuer son travail de veille et d’influence LCB a allié ses forces avec d’autres parties prenantes (fédérations, association, autres organisations de contrôle du RBUE...).
Cette proposition de règlement vise à réduire la consommation de produits provenant de chaînes d'approvisionnement associées à la déforestation ou à la dégradation des forêts, et à augmenter la demande et le commerce de produits légaux et "sans déforestation" dans l'UE.
La proposition de la Commission Européenne a été présentée comme faisant partie du Green Deal européen et de toutes les initiatives développées dans ce cadre. En particulier, elle vient en complément d’autres mesures proposées dans la communication de 2019, notamment :
17 novembre 2021 : publication du projet de réglementation par la Commission Européenne
2022-2023 (estimation) : négociations entre le Conseil et le Parlement européen
Fin 2023 (objectif de la CE) : publication et textes règlementaires complémentaires
Fin 2024 (1 an après la publication) : entrée en vigueur du règlement.
Six produits de base (viande bovine, bois, huile de palme, soja, café et cacao) et certains de leurs produits dérivés (par exemple le cuir, le chocolat ou les meubles) entrent dans le champ d'application du règlement. L'inclusion de ces produits a été proposée sur la base des résultats de l'analyse d'impact de l'initiative. Cette analyse visait à sélectionner, sur la base des données scientifiques et des recherches antérieures, les produits de base dont la production et la consommation en Europe contribuent le plus à la déforestation et à la dégradation des forêts à l'échelle mondiale.
Les produits bois, qu’ils soient issus de forêts naturelles ou de plantation, sont donc concernés par ce règlement dès lors qu’ils sont mis sur le marché de l’UE.
Les opérateurs qui placent sur le marché UE (donc ceux qui importent et dédouanent) les produits issus de ces matières premières, et qui ont l’obligation de faire preuve de diligence raisonnée ;
Les commerçants qui viennent juste après les opérateurs dans la chaine d’approvisionnement, et qui mettent à disposition les produits sur le marché UE. Les commerçants qui sont des PME, auront l’obligation de tenir à jour les informations sur la provenance du bois et sa destination une fois vendu. Les autorités compétentes seront en droit de réclamer ces documents. Ceux qui ne sont pas des PME* sont soumis aux mêmes obligations que les opérateurs (ils doivent donc faire la preuve de diligence raisonnée) ;
*« les PME (micro, Petites et Moyennes Entreprises) sont les entreprises qui sont constituées de moins de 250 employés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros. » extrait de l’article 2 de l’annexe à la recommandation 2003/361/CE
Les Autorités compétentes des états membres de l’UE qui ont la charge de faire appliquer le règlement et ses textes d’application dans leur pays respectifs.
Le règlement prévoit des règles obligatoires en matière de diligence raisonnée (article 8 du règlement) pour les opérateurs (article 4 du règlement) et les commerçants hors PME (article 6 du règlement). Cette procédure de diligence raisonnée doit garantir que les produits mis sur le marché de l’UE n’ont pas été produits sur des terres déboisées ou dégradées après le 31 décembre 2020 et qu’ils ont été produits conformément à la législation du pays de production. Si l’une des deux conditions n’est pas respectée, les produits ne pourront pas être mis sur le marché de l’UE.
Le Règlement Bois de l’UE (RBUE) ne sera pas maintenu après l’entrée en vigueur du Règlement zéro déforestation et dégradation des forêts. Néanmoins, dans l’esprit le RBUE continuera à exister au travers du nouveau règlement zéro déforestation et zéro dégradation puisque le projet de règlement adopte les mêmes modalités de mise en œuvre avec l’obligation de procédure de diligence raisonnée pour mettre sur le marché de l’UE des produits bois et dérivés. De plus, les mécanismes prévus par le RBUE seront maintenus pour atténuer le risque d’illégalité comme les autorisations FLEGT.
La différence majeure avec le RBUE vient du fait qu’en plus de l’évaluation du risque d’illégalité les opérateurs et commerçants (hors PME) devront évaluer le risque de déforestation et de dégradation des forêts, notamment via l’utilisation d’outil de géolocalisation.
La procédure de diligence raisonnée prévue par le RBUE sera donc adaptée dans le futur règlement avec l’introduction de nouveaux éléments tels que : la déclaration de diligence raisonnée (article 4) ; l'obligation d'information géographique ou géolocalisation, qui relie les marchandises et les produits à la parcelle où ils ont été produits (article 9) ; la coopération accrue avec les douanes (articles 14 et 24) ; les niveaux d’évaluation des risques minimaux (article 14) ; ainsi que l'évaluation comparative des pays (articles 25 et 26).
Par ailleurs, il est important de noter que les « commerçants » de plus 250 salariés et dont le chiffre d’affaires dépasse 50 millions d’€ ou dont le bilan annuel excède 43 millions d’€ auront l’obligation de mettre en place une procédure de diligence raisonnée pour les produits bois mis sur le marché de l’UE.
Le règlement zéro déforestation ne prévoit pas, comme c’est le cas dans l’actuel RBUE, de statut d’organisation de contrôle (OC). Néanmoins LCB conservera sa mission de conseil et d’accompagnement pour la mise en place de procédures de diligence raisonnée.
Etape 1 : Collecte d’information (article 9) :
Les opérateurs ou commerçants (hors PME) devront collecter les informations, documents et données démontrant que les produits ne sont pas issus de déforestation ou de dégradation et qu’ils n’auraient pas été produits illégalement. À cette fin, l'opérateur devra collecter et conserver pendant 5 ans les informations suivantes :
Etape 2 : Evaluation des risques (article 10) :
Sur la base des informations collectées, les opérateurs et commerçants (hors SME) devront procéder à une évaluation des risques pour établir s’il existe un risque que les produits aient participé à la déforestation ou au commerce illégal du bois. Les principaux critères d’évaluation sont les suivants :
- Les critères de risque de déforestation : l’attribution du risque au pays ou à la région du pays concerné via un système de « benchmarking » (article 27 du règlement) mis en place par l’UE. Une système d’évaluation des pays va être mis en place par l’UE avec une classification en trois catégories : « haut risque », « standard » (pays ou région pas encore évalué, dans ce cas de figure c’est à l’opérateur ou commerçant hors PME de faire son évaluation du risque), « faible risque ». Pour les pays ou région à « faible risque » la procédure de diligence raisonnée sera simplifiée. L’entreprise doit également évaluer le risque de mélange avec des produits d'origine inconnue ou produits dans des zones où la déforestation ou la dégradation des forêts a eu lieu ou est en cours ;
- Les critères de gouvernance: les préoccupations relatives au pays de production et d'origine, telles que le niveau de corruption, la prévalence de la falsification de documents et de données, l'absence de mesures d'application de la loi, les conflits armés ou la présence de sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou le Conseil de l'Union européenne ;
- Les critères de crédibilité des informations recueillies : la source, la fiabilité, la validité et les liens avec d'autres documents disponibles des informations visées à l'article 9.
Etape 3. Atténuations des risques (article 10) :
Les opérateurs devront avoir mis en place des politiques, des contrôles et des procédures adéquats et proportionnés pour atténuer et gérer efficacement les risques de non-conformité au règlement. Il s'agit notamment :
- des pratiques de gestion des risques, des rapports, de la tenue des registres, du contrôle interne et de la gestion de la conformité, y compris, pour les opérateurs qui ne sont pas des PME, la nomination d'un responsable de la conformité au niveau de la direction ;
- une fonction d'audit indépendante pour vérifier les politiques, contrôles et procédures internes visés au point a) pour tous les opérateurs qui ne sont pas des PME.
Les évaluations des risques devront être documentées, réexaminées au moins sur une base annuelle et mises à la disposition des autorités compétentes sur demande.
Le projet de règlement établit dans son article 27 un système pour l'évaluation des pays ou région sub-nationale permettant à la Commission d’identifier les niveaux de risques de déforestation et de dégradation des forêts. L'identification des pays ou des régions sub-nationales à risque faible ou élevé se fonde sur des critères d'évaluation tels que le taux de déforestation et dégradation, les taux d’expansion de l’agriculture, le périmètre des NDC (contributions déterminées au niveau national), les accords bilatéraux existants avec l’UE, le cadre réglementaire en place selon l’article 5 de l’accord de Paris.
Cette approche de classification des pays présente le risque de décourager les importateurs de s’approvisionner dans des pays considérés comme étant à haut risque. En effet, cela ne permet pas de faire ressortir les nuances de risque au niveau des fournisseurs, et risque de décourager les bonnes pratiques individuelles (telle que la démarche de certification).
Les entreprises qui mettent sur le marché les produits de base et les marchandises concernés seront tenues d'établir et de mettre en œuvre des systèmes de diligence raisonnée pour éviter la mise sur le marché de l'UE de produits liés à la déforestation. Elles seront soumises à des contrôles et devront rendre des comptes aux autorités compétentes si elles ne respectent pas les exigences du règlement. Elles devront soumettre à un système d'information européen une déclaration dans laquelle elles confirment qu'elles ont fait preuve de diligence raisonnée et que les produits qu'elles mettent sur le marché sont conformes aux règles de l'UE. Cette déclaration contiendra aussi des informations sur les coordonnées géographiques de l'exploitation agricole ou de la plantation où les produits ont été récoltés.
Un changement majeur par rapport au RBUE est l'obligation d'information géographique contenue dans l'article 9, qui exige des opérateurs qu'ils collectent les coordonnées géographiques (ou la géolocalisation via la latitude et la longitude) de toutes les parcelles où les marchandises et produits ont été produits. La déforestation étant liée au changement d'affectation des terres, le suivi de la déforestation nécessite un lien précis entre la marchandise ou le produit mis sur le marché de l'UE ou exporté de celui-ci et la parcelle de terre où il a été cultivé ou élevé.
Cette approche basée sur la géolocalisation des parcelle semble être un véritable enjeu pour les produits bois et notamment pour les produits transformés comme les contreplaqués qui sont composés de plusieurs essences de bois. LCB, continuera son travail de veille et d’influence pour le règlement prenne en compte les contraintes de ses membres et les particularités de la filière bois, qui contrairement aux commodités agricoles visées par le projet de règlement, ne participe pas à la déforestation.
L'UE a développé sa propre technologie de positionnement, de navigation et de synchronisation (PNT) par satellite (EGNOS/Galileo) et son propre système d'observation et de surveillance de la Terre (Copernicus). Par conséquent, les images satellites et le positionnement découlant de l'utilisation d'EGNOS/Galileo et de Copernicus peuvent faire partie des informations utilisées pour les contrôles de conformité.
La certification tierce partie est clairement reconnue comme source d’information complémentaire pour les étapes d’analyse et d’atténuation du risque à partir du moment où la certification fournit les informations requises par le règlement (cf. article 10.2.j).
De plus, une ouverture à sa reconnaissance est prévue, lors de la première révision quinquennale du règlement (article 32.2.a).
Le critère de dégradation des forêts ayant été ajoutée pour le bois spécifiquement (selon la définition de « zéro déforestation » qui prévoit une disposition spéciale pour le bois doit être récolté sans induire de dégradation de la forêt), la certification forestière représente plus que jamais un outil indispensable pour s’assurer de la conformité à ce critère (qui sera bien compliqué à vérifier par un opérateur européen pour des produits non certifiés).
En revanche, l’enjeu pour les certifications va être de s’aligner avec les exigences de la disponibilité des coordonnées géographiques des parcelles de production tout au long de la chaine d’approvisionnement et de transformation, impliquant une traçabilité stricte des produits. Le système de « mass balance » semblant être proscrit, cela impliquera sans doute aussi de revoir les méthodes de crédit, ou du moins les critères de vérification des bois non certifiés entrant dans des produits mixtes.
Les produits du bois relevant du règlement (CE) n° 2173/2005 du Conseil qui sont couverts par une autorisation FLEGT valide provenant d'un régime d'autorisation opérationnel seront réputés conformes à l'article 3, point b), du présent règlement. En d’autres termes, les produits avec autorisations FLEGT seront réputés comme légaux, il n’y aura pas d’évaluation de risques d’illégalité à mettre en place pour ces produits.
Néanmoins, les autorisations FLEGT ne permettront plus d’avoir accès à une « voie verte ». En effet, l’opérateur ou le commerçant (hors PME) devra évaluer le risque de déforestation ou de dégradation des forêts et l’atténuer si nécessaire.
Plusieurs définitions sont proposées dans le règlement à l’article 2 :
Cette définition est l’un des enjeux de cette réglementation. Comme le fait remarquer Alain Karsenty, « beaucoup de pays ont adopté un seuil de 30% de couvert arboré pour définir les forêts. En mettant un seuil à 10% pour définir les produits zéro déforestation, on va se trouver dans la situation où des productions jugées légales dans le pays d’origine (la conversion a pu concerner un écosystème à 20% de couvert, par exemple) seront reconnues légales mais inacceptables par l’UE, et, en principe, ne pourront pas être importées. Cela va créer de fortes tensions commerciales. »
Ces deux dernières définitions représentent un vrai risque pour l’exploitation forestière durable dans le Bassin du Congo. En effet, la définition de dégradation fait référence à des pratiques d’exploitation durable qui doivent éviter la dégradation des forêts primaires. Même si ce dernier terme n’est pas défini et va laisser la porte ouverte à de nombreuses interprétations, on peut penser que l’importation de bois en provenance de forêts non ou peu secondarisées par des opérations sylvicoles, telle que c’est le cas dans de nombreuses régions du Bassin du Congo, devienne compromise.
[1] Voir la définition p5 du document « Législation pertinente du pays de production »